Réussite & éducation

On entend souvent dire que la réussite scolaire est le principal indicateur du succès futur d’un enfant. Pour beaucoup, de bonnes notes, des diplômes prestigieux et une excellence académique sont perçus comme les clés d’une vie réussie. Pourtant, il est essentiel de revisiter cette idée profondément ancrée dans nos mentalités. L’école, bien qu’elle joue un rôle important dans certaines trajectoires, ne détermine ni ne définit à elle seule la réussite dans la vie. Elle n’est qu’un passage, parfois nécessaire, mais certainement pas une fin en soi. Chaque enfant possède des talents et une intelligence qui lui sont propres, et ces qualités doivent être reconnues au-delà des notes et des diplômes.
L’une des réalités souvent négligées est que chaque enfant a sa propre manière d’apprendre et de comprendre le monde. Notre système éducatif, bien qu’efficace pour certains, tend à standardiser la manière dont nous mesurons la réussite. Les enfants sont soumis aux mêmes évaluations, notés sur des critères identiques, sans prendre en compte la singularité de chacun. Pourtant, cette uniformité ne reflète pas la diversité des intelligences. Howard Gardner, dans sa théorie des intelligences multiples, a démontré que l’intelligence n’est pas un concept unique. Il existe plusieurs formes d’intelligence, telles que l’intelligence logico-mathématique, linguistique, musicale, ou encore interpersonnelle (Gardner, 1983). Ainsi, chaque enfant peut exceller dans des domaines variés, qui ne sont pas toujours valorisés par l’école.
Prenons l’exemple d’un enfant qui peine en mathématiques mais excelle en musique ou dans les relations interpersonnelles. Dans notre système actuel, cet enfant pourrait être perçu comme « moins intelligent ». Pourtant, il pourrait développer des compétences extraordinaires dans des domaines négligés par l’école. Steve Jobs, par exemple, n’a pas brillamment réussi ses études universitaires, mais son esprit visionnaire et créatif a transformé l’industrie technologique. Ce constat illustre la nécessité de valoriser la diversité des talents, au-delà des critères académiques traditionnels.
L’école, un passage, mais pas la seule voie vers la réussite
L’école doit être considérée comme une étape importante, mais pas comme la seule voie vers la réussite. Il est crucial que ce lieu d’apprentissage devienne aussi un espace où les talents divers et uniques de chaque enfant sont cultivés. Malheureusement, notre système éducatif valorise souvent certaines formes d’intelligence au détriment d’autres, ce qui peut éroder la confiance en soi des enfants qui ne correspondent pas à ces critères. La confiance en soi est pourtant essentielle pour réussir. Selon la théorie de l’autodétermination développée par Deci et Ryan (1985), les individus se développent mieux lorsqu’ils se sentent autonomes et compétents. Un enfant jugé uniquement sur ses résultats scolaires peut rapidement perdre confiance en lui, croyant qu’il est « moins capable », ce qui aura des répercussions sur sa capacité à se projeter dans l’avenir.
Pour renforcer cette confiance, il est crucial de reconnaître que chaque enfant possède des compétences uniques, qu’il s’agisse de capacités sportives, d’une empathie naturelle ou d’un talent pratique. L’intelligence émotionnelle, conceptualisée par Daniel Goleman (1995), est de plus en plus reconnue comme essentielle dans la vie sociale et professionnelle. Un enfant qui développe une solide estime de soi saura qu’il a de la valeur, indépendamment des jugements extérieurs. Cette estime de soi lui permet de naviguer avec résilience et de ne pas se laisser définir uniquement par ses échecs scolaires.
L’engrenage éducatif et le contrôle par les récompenses
Cependant, il est important de s’interroger sur la manière dont notre système éducatif fonctionne. L’éducation repose souvent sur un système de récompenses et de punitions, qui façonne les comportements des élèves. De l’école à la vie professionnelle, nous sommes conditionnés à agir en fonction des attentes de la société, espérant des gratifications sous forme de notes, de promotions ou de reconnaissance sociale. Cet engrenage éducatif, fondé sur la récompense, soulève des questions sur le libre arbitre, la motivation intrinsèque et le contrôle social.
Michel Foucault, dans Surveiller et punir (1975), analyse comment les institutions, y compris l’éducation, utilisent des mécanismes de contrôle pour façonner les individus. L’école, selon lui, est une micro-société où l’élève est constamment surveillé, noté et comparé aux autres. Les récompenses et punitions, bien qu’apparemment neutres, sont en réalité des outils de pouvoir qui régulent les comportements. En conséquence, les élèves finissent par intérioriser cette logique, croyant que leurs efforts n’ont de valeur que s’ils sont validés par une autorité extérieure.
Cette dépendance aux récompenses pose un problème philosophique. Platon, dans La République (380 av. J.-C.), soulignait que l’éducation devait avant tout cultiver la pensée autonome, sans se soucier des récompenses matérielles. Cependant, le système éducatif moderne tend à détourner les élèves de cette quête d’accomplissement intérieur. L’éducation devient alors une série de tâches à accomplir pour obtenir des gratifications, limitant la capacité des élèves à penser par eux-mêmes et à développer leur autonomie.
Repenser la réussite et l’éducation
Il est essentiel de repenser la manière dont nous concevons la réussite. Chaque enfant possède un potentiel unique qui doit être valorisé. L’éducation ne devrait pas se limiter à inculquer des connaissances académiques ou à distribuer des récompenses, mais à préparer les enfants à devenir des individus capables de penser de manière critique, créative et empathique. Ces qualités, souvent liées à la confiance en soi, sont aussi, sinon plus, déterminantes pour la réussite à long terme que les résultats académiques.
La véritable réussite est subjective. Certains la trouveront dans une carrière brillante, tandis que d’autres la verront dans la construction de relations harmonieuses, l’épanouissement personnel, ou l’engagement pour une cause qui leur tient à cœur. Ce qui importe vraiment, c’est que chaque enfant puisse se réaliser en accord avec ses talents et ses aspirations. Réduire la réussite à un diplôme ou à un emploi prestigieux est une vision étroite. La véritable réussite réside dans la capacité à vivre selon ses valeurs et à devenir la meilleure version de soi-même.
Références
- Deci, Edward L., & Ryan, Richard M. (1985). Intrinsic Motivation and Self-Determination in Human Behavior. Springer US.
- Foucault, Michel. (1975). Surveiller et punir: Naissance de la prison. Paris: Gallimard.
- Gardner, Howard. (1983). Frames of Mind: The Theory of Multiple Intelligences. Basic Books.
- Goleman, Daniel. (1995). Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ. Bantam Books.
- Platon. (380 av. J.-C.). La République.
J.NOURI
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