La transmission des traumatismes à travers les générations : l’éclairage de l’épigénétique

La transmission des traumatismes intergénérationnels est un sujet de recherche qui a pris de l’ampleur au cours des dernières décennies. Des études sur les descendants de survivants de l’Holocauste ou de la famine hollandaise de 1944 ont ouvert la voie à une meilleure compréhension des mécanismes complexes par lesquels le traumatisme peut traverser les générations sans que les descendants aient eux-mêmes vécu ces événements. L’épigénétique, un domaine émergent en biologie, apporte un éclairage fascinant sur cette question en expliquant comment les facteurs environnementaux, notamment le stress, peuvent affecter non seulement l’individu, mais également sa progéniture.

L’épigénétique : Qu’est-ce que c’est ?

L’épigénétique est l’étude des modifications dans l’expression des gènes sans altérer la séquence de l’ADN lui-même. Autrement dit, bien que notre ADN reste inchangé tout au long de notre vie, certains facteurs environnementaux peuvent influencer la manière dont les gènes sont « lus » ou activés. Pour expliquer cette idée simplement, imaginons que notre ADN soit comme un livre, avec chaque page représentant un gène. Bien que les mots du livre (les gènes) ne changent pas, les annotations faites sur les marges (les modifications épigénétiques) peuvent en modifier la lecture, comme l’ordre des chapitres ou l’emphase mise sur certains passages. Ces annotations sont influencées par des facteurs externes tels que le stress, l’alimentation, ou encore l’exposition à des traumatismes.

L’un des aspects les plus fascinants de l’épigénétique est que ces modifications peuvent être transmises d’une génération à l’autre. Par exemple, des études sur les descendants de survivants de l’Holocauste ont révélé que ces enfants présentaient des niveaux plus élevés de cortisol, l’hormone du stress, même s’ils n’avaient pas vécu de situations traumatiques comparables (Yehuda et al., 2016). Cela suggère que l’impact du traumatisme peut être hérité non seulement par l’expérience émotionnelle ou comportementale, mais aussi au niveau biologique.

Les mécanismes de la transmission intergénérationnelle des traumatismes

Les mécanismes épigénétiques permettent de mieux comprendre comment des événements traumatiques vécus par une génération peuvent affecter les générations suivantes. Voici les principaux processus impliqués :

  1. Transmission biologique : Lorsque les parents sont confrontés à des événements traumatisants, leur réponse physiologique peut entraîner des modifications dans l’expression de certains gènes, particulièrement ceux liés à la gestion du stress. Ces modifications ne changent pas le code génétique lui-même, mais elles peuvent modifier la façon dont certains gènes sont activés ou désactivés. Ces changements sont parfois transmis aux enfants. Par exemple, dans une étude sur les femmes enceintes ayant survécu à la famine de 1944 aux Pays-Bas, il a été observé que leurs enfants présentaient des altérations dans l’expression de gènes liés au métabolisme (Tobi et al., 2009).
  2. Transmission psychologique et comportementale : En plus de la transmission biologique, les traumatismes se transmettent également à travers des comportements et des schémas émotionnels. Les parents ayant subi des traumatismes non résolus peuvent, par exemple, projeter leurs peurs ou leurs angoisses sur leurs enfants, créant ainsi un climat familial marqué par une hypervigilance ou des réponses émotionnelles disproportionnées. Ce climat peut influencer l’enfant dans sa propre gestion des émotions et dans sa vision du monde, ce qui perpétue la transmission des traumatismes d’une génération à l’autre (Fraiberg, 1975).
  3. Transmission épigénétique et plasticité : Heureusement, la science de l’épigénétique nous montre que cette transmission n’est pas une fatalité. Les modifications épigénétiques sont réversibles et peuvent être influencées par des changements dans l’environnement. Cela signifie que si un parent a transmis des schémas épigénétiques liés au stress à ses enfants, ceux-ci peuvent potentiellement les modifier à leur tour grâce à des interventions thérapeutiques, des changements dans le mode de vie, ou encore des expériences positives. La thérapie, notamment l’approche de la pleine conscience, peut aider à réguler ces réponses physiologiques et émotionnelles, permettant aux individus d’atténuer les effets du traumatisme hérité (Siegel, 2012).

Les effets de la transmission des traumatismes chez les adolescents

L’adolescence est une période particulièrement vulnérable dans le développement psychologique et émotionnel des individus. C’est une phase où les jeunes cherchent à comprendre leur propre identité, tout en naviguant à travers des changements hormonaux et cognitifs. Lorsque les adolescents sont confrontés à des traumatismes familiaux transmis de génération en génération, ils peuvent ressentir un fardeau émotionnel supplémentaire qui les empêche de se développer pleinement.

Les adolescents exposés à la transmission des traumatismes sont plus susceptibles de développer des troubles tels que l’anxiété, la dépression ou des troubles de comportement. Selon Yehuda et Bierer (2009), les enfants de survivants de traumatismes graves, comme ceux de survivants de l’Holocauste, montrent des taux élevés de stress et des difficultés émotionnelles. Ces jeunes peuvent également éprouver des difficultés à établir des relations interpersonnelles saines, souvent en raison de l’insécurité ou du manque de confiance en eux-mêmes hérité du traumatisme parental (Schore, 2003).

L’importance de l’intervention et de la prévention

La transmission épigénétique des traumatismes offre une perspective précieuse sur la manière de briser ce cycle d’une génération à l’autre. Les interventions thérapeutiques jouent un rôle crucial dans cette démarche. La thérapie familiale peut aider les membres de la famille à comprendre les schémas de transmission du traumatisme, et à travailler ensemble pour les surmonter. De plus, des approches centrées sur la pleine conscience et la régulation émotionnelle permettent aux adolescents de mieux gérer les effets du traumatisme et de reconstruire leur propre identité, libérée des stigmates du passé familial.

Des études montrent également que des facteurs environnementaux positifs, comme une alimentation équilibrée, le soutien social, ou l’exercice physique régulier, peuvent influencer favorablement l’expression des gènes et aider à prévenir la transmission des traumatismes. Cela montre l’importance d’un environnement sain pour favoriser le bien-être mental et émotionnel des adolescents et des générations futures.

Conclusion

L’épigénétique nous révèle que nous sommes plus que la somme de notre ADN ; nos expériences, nos émotions, et même nos traumatismes peuvent influencer la manière dont nos gènes s’expriment. La transmission intergénérationnelle des traumatismes, bien qu’inquiétante, n’est pas une fatalité. Grâce aux avancées en épigénétique et à des interventions ciblées, nous pouvons non seulement comprendre comment les traumatismes se transmettent, mais aussi comment les surmonter. Cela ouvre la voie à des interventions thérapeutiques prometteuses qui peuvent non seulement guérir les individus, mais aussi leurs descendants.

En fin de compte, en apprenant à réécrire nos propres histoires génétiques, nous avons la possibilité de créer des générations futures plus résilientes et en meilleure santé.

Références :

  • Fraiberg, S., Adelson, E., & Shapiro, V. (1975). Ghosts in the nursery: A psychoanalytic Bowlby, J. (1988). A Secure Base: Parent-Child Attachment and Healthy Human Development. Basic Books.
  • Erikson, E. H. (1976). Identity and the Life Cycle. W.W. Norton & Company.
  • Fraiberg, S. (1975). Clinical Studies in Infant Mental Health: The First Year of Life. Basic Books.
  • Main, M., & Hesse, E. (1990). Parents’ unresolved traumatic experiences are related to infant disorganized attachment status. In M. T. Greenberg, D. Cicchetti, & E. M. Cummings (Eds.), Attachment in the Preschool Years: Theory, Research, and Intervention (pp. 161-182). University of Chicago Press.
  • McAdams, D. P. (2001). The Psychology of Life Stories. Review of General Psychology, 5(2), 100-122.
  • Murray, C., & Murray, K. (2007). Trauma and its effects on children and adolescents. In J. R. L. Hall & E. M. Crick (Eds.), Trauma and Recovery: The Aftermath of Violence (pp. 92-105). Routledge.
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  • Schore, A. N. (2003). Affect Regulation and the Repair of the Self. W.W. Norton & Company.
  • Siegel, D. J. (2012). The Mindful Therapist: A Clinician’s Guide to Mindsight and Neural Integration. W.W. Norton & Company.
  • Tobi, E. W., Lumey, L. H., Talens, R. P., et al. (2009). DNA methylation differences after exposure to prenatal famine are common in adults. Nature Communications, 1, 1-8.
  • Yehuda, R., & Bierer, L. M. (2009). The effects of childhood trauma on later mental health and physical health: A review of the evidence. Journal of Clinical Psychiatry, 70(1), 16-23.
  • Yehuda, R., Daskalakis, N. P., & Bierer, L. M. (2016). Epigenetic mechanisms and the intergenerational effects of trauma. Journal of Traumatic Stress, 29(5), 460-470.

J.NOURI

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